À propos du Street Art, des graffitis et des graffs, en général …
Le Street Art, tout en se voulant anti-art et atteinte à la propriété, est maintenant qualifié d’art en soi, et propriété de tous !
Cette affirmation liminaire est certes contradictoire. Ces graffitis et graffs font partie du quotidien de nos rues, et nous passons habituellement sans les voir. Mais, si on les observe un tant soit peu, on ouvre alors une porte sur un univers d’émotions, de beauté souvent étrange et d’imaginaire onirique.
Après le cinéma, septième art, puis la photographie, la BD, les arts numériques, nous voici bien à l’aube d’une nouvelle virtuosité internationalement reconnu …
Cet art des rues, tout de savoir-faire et de talent, de spontanéité et d’expressionnisme, s’est répandu ces dernières années dans le monde entier. C’est la manifestation explicite de la revendication libre, de la volonté du scripteur ou de l’artiste de communiquer, d’appeler et d’attirer l’attention. Tant sur son idée ainsi idéalisée sur un support public, que sur sa virtuosité et sa personne. Sans limites autres que celle du support choisi et de la technique utilisée. Mais toujours dans l’illégalité.
Certains esprits qualifient cet art de vandalisme, de délit envers le bien public. Mais quel beau délit, quel beau crime ! ( selon Bando, pionnier américano-français du graff ). D’autres reçoivent ces graffitis et graffs comme une expression artistique en soi, parfaitement aboutie. Mais où est la limite entre un naïf gribouillage mural et une œuvre d’art à la Basquiat ou Bansky ? Nombre de ces graffeurs ne revendiquent aucunement le statut d’artiste.
Graff versus graffiti : ce dernier est avant tout la stylisation d’une écriture, d’une signature. Slogan, cri, déclaration, appel anarchique ou simple rituel, c’est un écrit et un marquage territorial. Alors que le graff présente un degré bien supérieur de sophistication et d’élaboration : c’est une composition picturale figurative, porteuse de messages ou pas, de cris éventuels ou d’interpellations de toutes natures. Et la grande qualité de certaines œuvres atteint souvent le sublime, générant chez celui qui se pose et regarde un flot d’hormones du plaisir. Bref, création de beauté et ressenti d’émotion esthétique.
Le Street Art, en ses graffs, vient initialement du graffiti, écriture murale sublimée et revendicatrice, contestataire d’un certain ordre établi. Cette fronde, parfois initiée chez son auteur dans des toilettes publiques, se veut avant tout critique. Il s’agit d’un cri anonyme. La stylisation individuelle des écrits spontanés, bien souvent revendicatifs, s’accompagne aisément et naturellement de dessins, de caricature, de déformation du réel. Pour aboutir, pour certains artistes de rue, au graff, œuvre majeure, parfois géante. Toute cette production multiforme étant par définition illégale, contestataire, hors-la-loi, en détournant l’urbain public au profit du graffeur parfois anonyme. Et ceci pour la plus grande joie de certains amateurs d’art, de plus en plus nombreux.
L’accompagnement vers cette émotion est de même nature, que ce soit par les graffs ou les graffitis. Mais avec une différence notable, quant à la perception des œuvres : Le graff est représentation stylisée du réel, alors que le graffiti, dans son « jus », ressort plutôt du conceptuel, du mental, voire parfois de l’abstrait jamais abouti. D’une façon générale, le graff est plutôt monumental, alors que le graffiti est souvent minimaliste, quasi confidentiel.
L’artiste graffeur, par cette occupation délictueuse de l’espace public, utilise le pied de nez à la bonne conscience et à l’ordre établi. Pour interpeller anonymement le public, le déranger, le faire bouger. Et cela marche à merveille ! Il crée ainsi de l’art, en s’accaparant cet espace, dont il magnifie l’état initial. Que ce soit un mur en délabrement, une usine ou une bâtisse d’architecture classique. Constructions parfois iconiques d’un style classique reconnu : austro-hongrois austère, italien classique pompeux ou soviétique à délaidir.
Le Street Art est universel, réunissant dans chacun des pays où il n’est pas vraiment réprimé ( les dictatures, généralement ) des artistes « de rue » issus de tous les milieux, de toutes les origines. Mais cette « réunion » est virtuelle, car le graffeur est généralement narcissique et solitaire. Rares sont les Bansky fantômatiques. Il est fréquent qu’un graff soit, du jour au lendemain, remplacé par celui d’un autre… La rivalité est fréquente, tout comme le défi à la force publique. La propriété temporaire du territoire ne se fait pas par le marquage urinaire comme dans d’autres sociétés, mais ici par le marquage artistique ! De plus, il y a un double jeu subtil entre graffeurs d’une part, et la police gardienne du bien public, de l’autre. Le graffeur est, avant toute autre considération, un artiste rebelle, « cool » par essence, faisant partie d’une super-tribu aux pouvoirs extraordinaires. Ce n’est généralement pas un vandale, ainsi que certaines bonnes consciences étroites les qualifient.
De façon étonnante, le Street Art, tout en se voulant anti-art et atteinte à la propriété, est progressivement qualifié d’art en soi, et propriété de tous ! Une forme d’incivilité et une activité illégale portée au pinacle de la création artistique … Alors que ses acteurs sont, pour beaucoup, en rupture avec l’art officiel et avec la société moderne. Celle-ci s’accaparant néanmoins cette nouvelle production artistique multiforme et illégale, jusqu’à parfois la marchandisation. Et également à la perte de la valeur désintéressée des œuvres, un certain nombre de ces artistes prenant le train en marche. En monnayant de façon paradoxale leurs créations au service d’une société qu’ils rejettent peu ou prou.
Par définition, le Street Art appartient à la rue et à ceux qui les utilisent. Le reste devrait rester accessoire et étranger. Car les mondes des galeries et des collectionneurs mettent arbitrairement au pinacle certains artistes, et dénigre implicitement d’autres. Car l’argent, puissant moteur de la création de chefs d’œuvres d’art classique -grâce aux commandes de notables et d’institutions- semble devenu trop souvent un écraseur / extincteur de talent au profit d’une élite arbitraire « d’entre soi », médiatisés et inaccessibles.
Le Street Art est bien un art authentique et populaire, même si nombre de créations, graffitis ou graffs sont bien souvent inabouties ou simplettes. Il y a de tout, c’est un espace ouvert à tous. Le consensus émotionnel trie l’excellent et le moins bon. Et nombre de graffeurs sont de réels et grands artistes contemporains, qui passeront à la postérité.
Merci à eux d’embellir le monde. Mai 2012 - Michel GOGNY-GOUBERT